Julien Lefebvre est un chef talentueux, humble et sincère à l’image de ses créations et des valeurs qu’il défend avec force et conviction.

Formé par Frédéric Anton au Pré Catelan, Julien Lefebvre y apprend la rigueur mais c’est auprès de Mathieu Pacaud, fils de Bernard Pacaud, qu’il cultivera le goût pour l’excellence en tant que chef exécutif pour les restaurants Histoires**, Hexagone* et Le Divellec*.

Armé de son audace et de sa créativité, il succède à Jean-Luc Rocha à Cordeillan-Bages et obtient sa première étoile en février 2018.

En juillet 2020, de retour en Normandie, Julien Lefebvre ouvre une nouvelle page et reprend avec sa femme Lauriane, le restaurant « L’Âtre » à Honfleur.

Une cuisine locavore basée sur la saisonnalité des produits y est proposée, agrémenté d’un service chaleureux et décomplexé.

Son mantra ? Une cuisine artistique, aromatique, poétique, respectueuse du terroir, des producteurs et concoctée exclusivement avec des produits locaux et sains.

Il nous a parlé sans détour de la passion qui l’anime, de ses combats pour préserver la Terre, les mers et notre terroir. Il a également évoqué son rapport aux produits, le lien si particulier qu’il a su créer avec ses producteurs et ses espoirs pour demain.

Rencontre avec un chef étoilé au charisme épineux mais au cœur tout tendre.

Entretien réalisé en avril 2020 pendant le confinement.

CHEF JULIEN LEFEBVRE – ©GIANNI VILLA

Julien Lefebvre, portrait d’un chef passionné

Pourquoi avoir choisi d’enchanter nos papilles en devenant chef et quel aspect de votre métier vous plaît le plus ?

Julien Lefebvre. J’ai choisi cette voie car les notions de plaisir et de faire plaisir me tiennent vraiment à cœur.

Les aspects qui m’attirent le plus dans le métier de chef sont : la transmission, la création de plats, les associations ainsi que la découverte de différents patrimoines culinaires.

De plus, étant de nature perfectionniste, j’aime me dépasser et réaliser des créations innovantes en phase avec le monde dans lequel on vit.

Je suis très heureux de voir que de plus en plus de gens se sentent concernés par la provenance des produits parce que c’est nécessaire à la survie d’une nation, à la survie d’un patrimoine

Julien Lefebvre

On cherche de plus en plus à connaître la provenance de ce que nous mangeons, est-ce important pour vous de souligner l’origine des produits que vous sublimez ?

Julien Lefebvre. Pour moi c’est primordial ! Aujourd’hui, je suis très heureux de voir que de plus en plus de gens se sentent concernés par la provenance des produits parce que c’est nécessaire à la survie d’une nation, à la survie d’un patrimoine, au bénéfice d’un écosystème local.

J’ai toujours considéré mon rôle comme le trait d’union entre le producteur et le client.

Nous les chefs, nous sommes ce lien de transparence.

Nous avons également un devoir pédagogique, celui d’amener nos enfants à être un peu « conservateurs », nous sommes un pays de cultivateurs, ne l’oublions pas.

La mondialisation, nous a malheureusement fait perdre cette notion que nous sommes en train de retrouver, à cause ou grâce, à cette crise sanitaire.

ASPERGES EQUILIBRE – ©GIANNI VILLA

Selon vous, les gens se sont-ils rendu compte que de bons produits existaient à côté de chez eux et qu’il n’était pas nécessaire de les exporter ?

Julien Lefebvre. Je pense qu’ils se sont rendu compte qu’il existait de bons produits, meilleurs pour la santé, issus d’une agriculture raisonnée et à l’impact carbone limité. Aujourd’hui, dans mon restaurant, je bannis les fruits exotiques ainsi que les produits qui ont parcouru plus de 200 km afin de privilégier un approvisionnement le plus local possible.

Derrière chaque produit d’exception se cache un producteur encore trop méconnu du grand public, quelle qualité première recherchez-vous chez un producteur pour travailler ses produits ?

Julien Lefebvre. La qualité première que je recherche chez un producteur c’est la passion qu’il a envers son métier et son produit. La philosophie qu’il défend, sa capacité à se remettre en question et son humilité. Ce sont pour moi des aspects très importants, sans oublier la qualité du produit, réalisée par ces femmes et ces hommes, qui est primordiale.

Une collaboration fructueuse passe par un échange, les producteurs viennent en cuisine, je vais également les voir afin de mieux découvrir leur environnement et mieux cerner les démarches écologiques mises en place pour que le produit arrive à sa quintessence. Les portes sont donc grandes ouvertes pour toutes personnes

Donc si on est producteur et qu’on a un savoir-faire à défendre, on peut vous contacter ?

Julien Lefebvre. Beaucoup de gens nous envoient des échantillons mais vous ne pouvez pas travailler avec tout le monde, malheureusement. Avec le temps des affinités se créent et votre réseau se ferme obligatoirement. Mais un chef n’est jamais fermé à la découverte, c’est l’essence même de son métier que de découvrir quelque chose de nouveau, d’intéressant, pour lui, pour ses collaborateurs et pour ses clients.

Dans l’inconscient collectif, on pense que la saison d’un fruit ou d’un légume dure à peu près 1 mois, le Chef étoilé, Alexandre Couillon, a dit qu’une saison pouvait se jouer sur 1 semaine. Comment comprendre Dame Nature ?

Julien Lefebvre. Il y a plusieurs aspects à cette méconnaissance des saisons. Le premier aspect est sans conteste la banalisation de la saison initiée par l’industrie agro-alimentaire, qui va chercher des produits dans des pays possédant des conforts climatiques différents. Cela a complètement chamboulé notre connaissance et a été possible pour une seule et simple raison : l’urbanisation.

L’autre aspect est le réchauffement climatique et son impact bénéfique ou maléfique sur les produits. En fonction des variations, de la localité, on aura des saisons qui vont être changeantes et c’est pour cela qu’il est essentiel d’être le plus au contact des producteurs ou de la terre.

Certains chefs, notamment Alexandre Couillon ou Christophe Hay, se sont mis à avoir un potager afin de pouvoir gérer la saisonnalité au jour le jour et être en phase avec la nature.

La solution consiste à privilégier une relation de proximité avec les producteurs et adapter son offre : être flexible dans ses propositions afin de pouvoir se réadapter d’une semaine à l’autre, ré imaginer ses cartes, ses présentations, pour être le plus réactif possible.

Un chef engagé pour le respect des produits et des saisons

Vous êtes un grand amateur de poisson, c’est essentiel pour vous de travailler en direct avec les pêcheurs et d’associer dans vos recettes la Terre et la Mer ? 

Julien Lefebvre. Etant né en Normandie j’ai grandi entre Terre et Mer.

J’ai la chance de travailler au plus près avec les producteurs même s’il est plus difficile de travailler en direct avec un pêcheur. Le marché de la pêche est en effet régie parce ce qu’on appelle des criées où des acheteurs négocient pour les professionnels de la restauration. Toutefois, si on a la chance d’être en bord de mer, on peut avoir des contacts privilégiés avec les pêcheurs.

Quoiqu’il en soit, dans l’eau comme sur terre, la règle des saisons s’applique.

Christopher Coutanceau, qui vient d’avoir 3 étoiles cette année, se bat pour sauver les océans et nous rappeler qu’on ne mange pas du bar pendant qu’il est en train de frayer, ou de la sole toute l’année pour la même raison.

C’est à nous, les chefs avec une certaine notoriété, d’avoir la lucidité de ne pas proposer forcément que des poissons nobles à nos cartes, mais également d’autres poissons qui seront tout aussi bons, plus méconnus par un grand nombre, mais qui respectent cette saisonnalité. C’est un de mes combats au quotidien !

Paul Bocuse que tout le monde connait, à ses débuts, il ne se servait que des poissons de la Saône et des produis régionaux voire départementaux.

COQUILLAGE EQUILIBRE – ©GIANNI VILLA

La gastronomie française rayonne dans le monde aux travers de créations de chefs, c’est une part essentielle de votre métier que d’être un ambassadeur du terroir mais aussi de la culture française ?

Julien Lefebvre. Complètement ! Nous avons pour mission, et ce grâce à notre notoriété, de promouvoir le savoir-faire français. Nous avons la chance d’avoir un patrimoine très riche que de nombreux pays nous envient. Une diversité de climats, d’environnements, de terroirs et de savoir-faire ancestraux à valoriser. On a toujours été des précurseurs, on a toujours été un modèle. Avec la mondialisation, ça s’est un peu perdu, et, nous les chefs, devons être en perpétuel mouvement pour nous réinventer, continuer à inspirer les autres et faire briller notre pays pour toutes ses valeurs.

A l’heure 2.0, est-ce important pour vous de discuter avec votre communauté ? Est-elle source d’inspiration ?

Julien Lefebvre. Cela est très enrichissant et m’offre la possibilité de recueillir les avis de mes abonnés.

Grâce à ces outils 2.0, le message est véhiculé plus rapidement et plus profondément. Après, il faut aussi faire attention à ne pas plus valoriser l’image, qui peut être modifiée ou améliorée, au dépend du goût.

CAILLE EQUILIBRE AVEC BOUILLON – ©GIANNI VILLA

Si vous étiez un produit à sublimer, ce serait lequel ?

Julien Lefebvre. L’artichaut est un produit local que j’aime beaucoup.

Il a de très belles vertus drainantes notamment et on peut le consommer de différentes manières. L’artichaut a un côté un peu épineux dans le cœur, qui représente un peu mon charisme et quand on l’épluche, au milieu, il y a le cœur tout tendre.

Un chef qui vous inspire ?

Julien Lefebvre. Sans hésitation, Bernard Pacaud avec qui j’ai eu la chance de travailler. C’est une personne qui me fascine et qui m’a beaucoup apporté dans ma carrière. Je l’appelle l’homme aux 3 H, c’est un grand Homme, Humble et Habile.

Un producteur ou un artisan dont vous admirez le travail ?

Julien Lefebvre. Je collabore avec de nombreux producteurs, mais j’en ai relevé quelques uns :

J’aime beaucoup le travail d’Eric Roy, un maraîcher, qui est à côté de Tours à Saint-Genouph.

Xavier Alazard, un oléiculteur qui fait un travail remarquable sur une huile d’olive magnifique.

Nicolas Zoia du Fumoir Médocain, qui fait tout ce qui est poisson fumé à merveille.

Et Cyril Gassian, un charcutier situé à Castelnau-de-Médoc qui travaille très bien.

Après il y en a plein d’autres et ils seront fâchés car je ne les ai pas mentionnés 🙁 (Je plaide coupable car j’ai demandé au chef de me citer seulement 4 noms mais il pense très fort à vous tous ) !

L’Âtre, sa nouvelle table responsable à Honfleur

Un adjectif pour qualifier votre cuisine ?

Julien Lefebvre. Je dirais Aromatique (c’est très poétique !) ! On essaie parfois d’amener un produit de nature brute à quelque chose de doux et d’inspirant, donc on fait de la poésie en quelque sorte.

Pour en savoir plus…

Un légume ou un fruit de saison que vous adorez et comment aimez-vous le manger ?

Julien Lefebvre. J’adore les tomates en saison, elles sont juteuses avec du goût.

Ma cuisine étant très axée sur le monochrome, j’aime combiner des produits de la même saison et de la même couleur. Par exemple, la tomate et la fraise, sont deux fruits qui s’accordent dans une belle harmonie de couleurs.

J’aime bien cette association : tomates, fraises des bois, un peu d’olives, de la burrata, de la fleur de sel et un trait d’huile d’olive, tout simplement.

 C’est dans les plats les plus simples, que l’on trouve le plus de complexité

Bernard Pacaud

Votre plat remonte moral ?

Julien Lefebvre. Je dirais le poulet rôti du dimanche, un plat convivial qui rappelle les bons souvenirs d’enfance et la table de partage. C’est un plat simple mais qui requiert de la justesse pour qu’il soit merveilleux. A ce propos, Bernard Pacaud a dit : « C’est dans les plats les plus simples, que l’on trouve le plus de complexité ».

VOLAILLE – ©GIANNI VILLA

Votre ingrédient secret pour rendre un plat plus gourmand ?

Julien Lefebvre. En bon normand, je vais dire le beurre ! Un bon beurre demi-sel apporte de la gourmandise, de la luisance, de la longueur, mais à utiliser, bien sûr avec parcimonie 🙂

Si vous n’aviez pas été chef, qu’est-ce que vous auriez voulu faire ?

Julien Lefebvre. J’aurais évolué dans un milieu artistique où les maîtres mots seraient la création, l’émotion, le partage. J’aime la peinture, la musique, être au contact du bois, il m’est donc difficile de me prononcer sur un métier précisément.

Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter ?

Beaucoup d’échanges avec les clients, avec les producteurs et plein de beaux projets qui servent d’utilité publique. On a cette chance d’exercer un métier fédérateur, car c’est l’essence même d’une famille de se retrouver autour d’un repas, et si au travers de ce moment convivial, on peut sensibiliser sur les enjeux de l’alimentation, c’est encore mieux 🙂

Envie de goûter à la cuisine locale, savoureuse et accessible du chef étoilé Julien Lefebvre ? Filez dans son restaurant « L’Âtre » à Honfleur pour un moment gourmand et hors du temps.

Restaurant L'Âtre
25 Cours des Fossés
14600 Honfleur
Réservation au 02 31 88 30 82
Ouvert du mardi au dimanche

Vous pouvez également retrouver l’actualité pétillante et appétissante du chef sur Instagram : @julienlefebvre_off

Crédit photo : Gianni Villa

2 commentaires

  • Capron Vincent
    Posted 14 décembre 2021 15 h 36 min 1Likes

    enfin, une véritable image de la gastronomie à la portée de tous, avec une démarche Ecoresponsable, bravo!
    Vincent
    Sommelier

    • Eva Mané
      Posted 25 janvier 2022 16 h 35 min 0Likes

      Merci Vincent pour votre commentaire ! Une vraie démarche écoresponsable dont on est fan 🙂

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